Les innom­brables ensei­gnants qui se sentent condam­nés à mal faire dans notre Absur­dis­tan appré­cie­ront Barbara Dufour. Avec le recul de ses 30 années d’ex­pé­rience dans l’en­sei­gne­ment des sciences au niveau secon­daire supé­rieur, elle nous livre une synthèse de moins de 100 pages, sans langue de bois, sur notre système scolaire.

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Après avoir dévoré « Reva­lo­ri­ser l’éco­le… sans tabou« , j’ai fermé les yeux, j’ai souri, et je me suis laissé aller à rebap­ti­ser le livre:

  • « Bon sens du terrain contre bureau­cra­tie idéo­lo­gique »
  • « Après les péda­go­gistes »
  • « Le carnage des fausses bonnes idées »

Partout dans notre société, les direc­tions recrutent leur person­nel sur base d’un profil de fonc­tion. Dans l’en­sei­gne­ment, c’est le nombre de jours pres­tés qui donne la prio­rité à un candi­dat sur un autre! Pourquoi l’en­sei­gne­ment fait-il excep­tion? La qualité d’un ensei­gnant doit l’em­por­ter sur une quel­conque procé­dure d’éga­lité de trai­te­ment.

Une ensei­gnante avec 30 ans d’ex­pé­rience, donc archi-nommée et indé­bou­lon­nable, proclame haut et fort que sa prime à la vieillesse doit cesser ! ? Ayant eu la chance de la rencon­trer après qu’elle m’ait incen­dié sur inter­net, je peux témoi­gner que la spit­tante scien­ti­fique n’a pas sa langue dans sa poche. En osant dire que la qualité d’un prof doit primer sur son ancien­neté, insi­nue­rait-elle que l’école n’a pas été créée pour occu­per les ensei­gnants, mais pour instruire les élèves ? Cette dange­reuse dissi­dente ose même propo­ser que les jour­nées péda­go­giques où nos ensei­gnants se forment, se déroulent pendant que leurs élèves ne sont pas à l’école. Quel culot ! Ce livre n’a aucun tabou, aucune pudeur. Voici comment il traite nos diri­geants et véné­rables univer­si­taires :

Nos respon­sables, aidés des spécia­listes en éduca­tion, ont alors concocté toutes sortes de mesures plus ou moins (in)effi­caces pour gérer ces diffi­cul­tés [l’hé­té­ro­gé­néité du niveau des élèves dans une classe]. A commen­cer par la remé­dia­tion qui consiste le plus souvent à ajou­ter une couche de la même chose à des enfants qui sont déjà satu­rés.

Le bon sens du terrain… De quoi a besoin un enfant qui après 6 années primaires, ne connaît toujours pas ses tables de multi­pli­ca­tion ? Vite, vite, du « rattra­page » pour rêver qu’à la fin de l’an­née, il résolve des équa­tions à deux incon­nues lors de son examen ? Ne peut-on rien trou­ver de plus construc­tif que de trans­for­mer en échec, en relé­ga­tion ou en fausse réus­site auto­ma­tique l’abys­sal fossé qui sépare le programme secon­daire de ses connais­sances ?

J’ai l’im­pres­sion d’avoir une valise dans chaque main, expliquait en substance un ensei­gnant, une avec toutes les réformes pour un voyage sur une autre planète; l’autre avec la réalité de ma classe.

Proba­ble­ment avec moins de disrup­ti­vité de « Sauver l’école? », et certai­ne­ment avec plus de fougue, l’en­sei­gnante de Char­le­roi, habi­tuée à un public très large, pour­suit, au sujet des profs:

Le débat doit porter sur les tâches qui leur sont dévo­lues et surtout sur leur temps de présence dans l’école, même s’il est mal venu d’en parler.

Je vous le confirme, Madame Dufour, il est mal venu de suggé­rer que nos ensei­gnants prestent les 4/5e de leurs 38 heures à l’école, parce que, pour le moment, leur travail (prépa­ra­tion, correc­tion…) les éloigne trop souvent du contact direct avec leurs élèves. Et de toute façon, à vous lire, des élèves, ils n’en auront bien­tôt plus beau­coup:

A vu du type de ques­tions posées aux épreuves externes [CEB, CE1D], on peut même se deman­der où est la plus-value de l’école. En effet, les ques­tions exigent prin­ci­pa­le­ment du bon sens, de la logique, de la déduc­tion. […] Il est donc possible, pour un élève norma­le­ment doué, de réus­sir sans aller à l’école. Dans ce contexte, l’élève et ses parents peuvent légi­ti­me­ment se poser la ques­tion de l’uti­lité de l’école et de ses ensei­gnants!

L’au­teure oscille entre réqui­si­toire contre un cadre schi­zo­phré­nique qui l’em­pêche de faire effi­ca­ce­ment son métier, et recon­nais­sance que « la profes­sion attire d’avan­tage pour les condi­tions de travail – temps de pres­ta­tions conci­liables avec une vie de famille surtout – que pour le pres­tige de la carrière ». Pour comprendre cette contra­dic­tion que je constate aussi de mon côté, lisons le dernier para­graphe du livre:

En clair, la déva­lo­ri­sa­tion de notre métier nous rend méfiants et nous oblige souvent à adop­ter des posi­tions de repli et/ou de survie. Pour­tant, ouvrons les yeux, le monde change, les jeunes changent et il serait suici­daire de ne pas vouloir change à notre tour. Exigeons de l’au­to­no­mie et modi­fions notre vision du métier ainsi que nos pratiques, sans quoi, la société elle-même se char­gera de nous impo­ser une réforme dans laquelle nous n’au­rons pas voix au chapitre.

Cette lucide conclu­sion m’est résu­mée orale­ment par l’en­sei­gnante auto­cri­tique, en une phrase qui fait désor­mais partie de mon arse­nal offi­ciel de cita­tions niveaux A+:

« L’Etat traite les profs comme les profs traitent les élèves ».

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Reva­lo­ri­ser l’éco­le… sans tabou.
par Barbara Dufour
Couleur livres
11€ – 91 pages