Sur le trot­toir des fumeurs de la confé­rence P&V, Cathe­rine Szten­cel m’avait offert son livre co-écrit avec Nico­las Roubaud « Accom­pa­gner des ados en rupture scolaire ». Le temps des vacances est enfin l’oc­ca­sion de me plon­ger dans ce très instruc­tif mode d’em­ploi élaboré par l’as­so­cia­tion « Odys­sée ».

Tout d’abord, c’est quoi un adoles­cent en phase de décro­chage ? Le livre donne de nombreux exemples :

Magali a 18 ans. Elle est étudiante en section « Vente/Étalage » dans un CEFA. Elle vit dans un loge­ment social avec sa mère qui souffre de dépres­sion et passe ses jour­nées devant la télé. Magali souffre du dos et abuse des certi­fi­cats médi­caux pour justi­fier ses absences scolaires. L’école nous appelle parce que le PMS n’ar­rive pas à la rencon­trer.

Tous les cas suivent le même schéma :

  • – C’est d’abord l’école qui prévient l’as­so­cia­tion.
  • – Le cas est récu­pé­rable, les absences sont encore limi­tées.
  • – L’as­so­cia­tion se présente comme neutre et tisse une rela­tion de confiance avec le jeune.

Après discus­sion avec Magali, il semble que le compor­te­ment d’un autre élève bloque le retour de Magali en classe.

La méthode de la « Moti­va­tion Globale » a été patiem­ment déve­lop­pée par l’as­so­cia­tion pour recréer du lien et, fort de ce lien, dépas­ser le signal du décro­chage et recons­truire un projet. L’ou­vrage explique cette méthode qui garde à l’es­prit que pour colla­bo­rer avec l’école, il faut la comprendre et trou­ver une « dyna­mique qui la soulage et l’en­ri­chit dans sa mission d’édu­ca­tion ».

Depuis plus de vingt ans que j’ac­com­pagne jeunes et moins jeunes à travers les cycles et saisons de la vie, je n’ai pas rencon­tré de jeunes pares­seux, mais beau­coup de jeunes démo­ti­vés, qui ne voient pas le sens de ce qu’ils font ou vivent.

Bien en accord avec cette affir­ma­tion, j’ai­me­rais appor­ter une nuance : tous les jeunes ne sont pas résis­tants à l’ef­fort. Suppor­ter un long et pénible travail pour une récom­pense loin­taine et abstraite s’ap­prend progres­si­ve­ment. De nombreux jeunes sont dans l’im­mé­dia­teté, aban­donnent trop vite et ne récoltent pas de fruits pour nour­rir leurs aspi­ra­tions.

Mathieu (16 ans) est en décro­chage scolaire mais ce n’est pas la préoc­cu­pa­tion majeure de ses parents. Depuis leur divorce il semble qu’il ait perdu tout sens de construc­tion de projets et il a commencé à consom­mer de la drogue dure.

L’as­so­cia­tion est parfois amenée à rencon­trer les parents et à colla­bo­rer avec d’autres inter­ve­nants sociaux tel que le service d’aide à la jeunesse. Dans les exemples du livre, il s’agit géné­ra­le­ment de débloquer un nœud.

Vincent (14 ans) ne va plus à l’école. Il est né dans une famille très violente où les enfants sont au service du bien-être de leurs parents. Très vite, il apprend à faire les courses, garder sa petite sœur et veiller sur elle lorsque sa maman est ivre. Il s’oc­cupe de sa petite sœur âgée à peine d’un an avec une douceur éton­nante. Il lui parle, la cajole, l’ha­bille, la lange comme un père. Il n’a pas connu son papa ; son oncle, lui, s’est suicidé il y a quelques mois. Parfois, il ressent beau­coup de violence en lui mais ne la comprend pas. Il a envie de tout casser et de partir de chez lui et pour­tant, il aime sa maman et sa petite sœur plus que tout au monde. Il sent telle­ment de rage en lui qu’il pense qu’il est devenu un mauvais bougre.

Comment cet adoles­cent va-t-il pouvoir chan­ger sa percep­tion de la situa­tion ?

Nous le consta­tons depuis dix ans, ouvrir l’ac­cès à son rêve et se mettre à le vivre demande un véri­table travail sur soi, un travail de recherche, un travail de remise en cause de ce qu’on tient pour vrai. C’est une odys­sée, c’est l’objet social de notre asso­cia­tion.

« Un véri­table travail sur soi ». Apprendre « à être », en quelque sorte. C’est aussi le cœur de l’ac­ti­vité de « Learn to Be », l’as­so­cia­tion dont j’as­sure la direc­tion et qui s’oc­cupe plutôt de former les ensei­gnants à « ce travail sur soi », tandis qu’O­dys­sée s’adresse plus direc­te­ment aux jeunes tout en sensi­bi­li­sant les ensei­gnants aux diffi­cul­tés de ces jeunes.

Il est inté­res­sant de consta­ter que le siège de l’émo­tion et celui de la pensée sont distincts au niveau du cerveau. Cela signi­fie que lorsque c’est l’émo­tion qui nous anime, nous n’avons neuro­lo­gique­ment plus contact avec notre capa­cité de discer­ne­ment.

C’est proba­ble­ment le cœur de l’ANC (Approche Neuro Cogni­tive) ensei­gnée par Learn to Be dans les écoles.

Quel est le rôle de l’école secon­daire, fina­le­ment ? Plutôt ensei­gner les maths, ou plutôt ensei­gner à être ? Si on demande aux jeunes ce qui les motive à aller à l’école, une grande majo­rité vient beau­coup plus pour les rela­tions avec les copains, que pour les maths.

Notre système éduca­tif déve­loppe parti­cu­liè­re­ment les connais­sances, l’in­tel­lect et la mémoire mais très peu la connais­sance de soi, les apti­tudes rela­tion­nelles et la dyna­mique de gestion de projets.

Accompagner des jeunes en rupture scolaire
Accom­pa­gner des ados en rupture scolaire
La moti­va­tion globale
par Nico­las Roubaud et Cathe­rine Szten­cel
De Boeck
18€ – 160 pages