Mon livre “Sauver l’école ?” comporte deux parties. Alors que la première retrace mon expé­rience en classe, la seconde tente de réflé­chir au système: des histoires et des exemples. En voici une, extraite du livre:

Afin de simpli­fier le débat sur les classes hété­ro­gènes, adop­tons une méta­phore cham­pêtre. Imagi­nons une classe de vingt-cinq enfants de 9 ans — quatrième primaire — auxquels on donne une année pour traver­ser à pied la moitié méri­dio­nale de la Belgique, d’Ar­lon à Bruxelles. Le premier septembre, ils quittent la capi­tale du Maitrank en rang d’oi­gnons, au pas, insti­tu­teur en tête. Tout ce qu’il y a de plus tradi­tion­nel.
Parmi eux, Kevin vient d’une famille défa­vo­ri­sée et n’a jamais marché bien long­temps. Au contraire de sa cama­rade Léa, qui part souvent en randon­née avec ses parents. Équi­pée de chaus­sures de pro, elle se sent des ailes. Elle pour­rait presque voler jusqu’à la prochaine étape. C’est comp­ter sans Kevin, qui se plaint d’un caillou coincé dans sa sanda­lette bon marché. L’ins­ti­tu­teur demande à tout le rang de s’ar­rê­ter pendant qu’il défait la sandale, retire la petite pierre et rechausse Kevin. Léa s’en­nuie, d’au­tant qu’elle doit se taire pendant toute l’opé­ra­tion.
Au moment de traver­ser la première rivière, l’ins­ti­tu­teur consacre une heure à expo­ser la procé­dure dans les moindres détails. Mais Léa a déjà traversé mille rivières avec ses parents et se morfond pendant cet exposé théo­rique inter­mi­nable. Pour compen­ser, l’ins­ti­tu­teur lui donne quelques pompes à faire mais à ce tarif, elle préfère encore marcher moins vite et faire semblant de ne pas s’en­nuyer. Kevin, lui, passe beau­coup de temps à s’en­traî­ner le soir, après l’école. Il a des ampoules aux pieds mais doit suivre le rythme. C’est un calvaire.
Début juin, tous les enfants arrivent à Bruxelles. Le programme est offi­ciel­le­ment bouclé ! Il reste à véri­fier que tous les élèves maîtrisent les compé­tences acquises en cours de route. Pour ce faire, on conduit tous les enfants en bus à Arlon et on leur donne deux semaines pour refaire, seuls cette fois, le trajet jusqu’à la capi­tale. Il ne faut pas plus d’une semaine à Léa pour accom­plir le trajet. On la féli­cite mais il est clair que depuis le départ, tout cela a été trop facile pour elle. On envi­sage de la passer direc­te­ment en sixième primaire. Mais la ques­tion ne se pose pas long­temps : elle ne va tout de même pas lâcher le groupe après tout ce qu’ils ont vécu ensemble ! Au bout des deux semaines, Kevin est resté coincé à Ciney. Autre­ment dit, 49 % du chemin, mais quel progrès par rapport à son absence totale de prédis­po­si­tions pour la randon­née en septembre. Il faut 50 % pour passer en cinquième. Doit-on vrai­ment le renvoyer à Arlon et lui impo­ser de tout reprendre à zéro l’an­née prochaine ?

Classe d’âge en marche alignée

L’illus­tra­tion est un frag­ment du grand schéma du chapitre 7. Il montre que des classes hété­ro­gènes (mélange de lents et de rapides) avec une péda­go­gie simul­ta­née, cela n’en­gendre pas un cours adapté à la vitesse de l’en­fant. La semaine prochaine, je poste­rai un extrait avec une autre version de cette randon­née. Et vous, comment orga­ni­se­riez-vous un tel appren­tis­sage ?