Classe unique en marche libre
décembre 7, 2015 - 6 minutes readLa semaine dernière, j’ai posté un extrait de mon livre “Sauver l’école” qui imageait une classe de primaire comme un groupe de randonneurs, avec de l’ennui et du redoublement à la clé. Voici une version plus heureuse de l’histoire, toujours extraite du livre:
Adaptons cette fois notre scénario au XXIe siècle. L’instituteur est à présent équipé d’un téléporteur qui lui permet de se positionner à n’importe quel endroit du trajet quand il le souhaite. De leur côté, les élèves disposent tous d’un smartphone chargé de dizaines de vidéos. Le premier septembre, nos élèves de quatrième primaire partent d’Arlon. Désormais, l’instituteur se place en retrait, derrière le groupe.
Lea fonce avec trois camarades et déjà, ils discutent de l’étape suivante. Le groupe s’étire. À l’arrière, Kevin ralentit : il a un caillou dans sa sandale. L’instituteur s’approche et regarde d’abord s’il s’en sort seul. Kevin, déjà un peu démotivé, fait non de la tête. Sur ce, l’instituteur lui dit de prendre son smartphone et d’appeler Fatima à l’aide, une élève de cinquième. Fatima accepte immédiatement et se téléporte pour aider Kevin. Elle l’accompagne ensuite pendant une demi-heure, le temps de lui remonter le moral et de lui montrer le chemin à suivre. Une fois que Kevin arrive en vue du groupe des retardataires, Fatima le quitte et se téléporte vers le chemin alpin qu’elle était occupée à parcourir — c’est le programme de cinquième.
Pendant ce temps, Lea et son petit groupe de tête sont bloqués devant un grand cours d’eau, bien plus large que ce que Lea a connu avec ses parents. Heureusement, une vidéo leur permet de comprendre comment le franchir. Mais les explications ne suffisent pas, si bien qu’ils décident de téléphoner à leur instituteur. Celui-ci se téléporte et les accompagne dans ce passage difficile avant de repartir vers les autres.
Lea arrive à Bruxelles fin février avec deux autres élèves. Début mars, ils passent du temps à aider leurs camarades moins rapides, puis réussissent l’examen récapitulatif. Mi-mars, ils entament le parcours de cinquième, au beau milieu des Alpes.
En juin, Kevin arrive à Ciney. Il n’a fait que la moitié du chemin mais à son rythme, sans avoir mal aux pieds et sans détester l’école. En fait, il est fier d’avoir « perdu » du temps en cours de route car ainsi, il a pu aider des petits de troisième dans leur parcours. Il est aussi reconnaissant envers les élèves qui, comme Fatima, l’ont aidé et avec qui il a noué une relation de confiance. En septembre, il repartira de Ciney. Pourquoi devrait-il recommencer le tronçon qu’il a déjà parcouru ?
Vous l’aurez compris, la première version, très XXe, voire XIXe siècle, correspond à une classe dont les élèves progressent simultanément. Par nature, ils se trouvent donc en permanence au même point de matière, ce qui encourage l’enseignant à donner des explications collectives. C’est un raisonnement que l’on peut tenir dans les deux sens : un enseignant qui préfère donner des explications collectives aura tendance à pousser ses élèves à progresser à la même cadence.
Quant à la version moderne de l’aventure, il s’agit de l’illustration d’un parcours individualisé. Physiquement, tous les élèves se trouvent dans la même classe, mais ils travaillent tous un point de matière différent. Généralement, ils se regroupent spontanément par petits groupes afin d’aborder ensemble une nouvelle matière. Comme il est devenu impossible à l’enseignant de tout expliquer à tout le monde, il encourage ses élèves à l’entraide et à la recherche autonome d’information. C’est typiquement ce qui se passe dans une école de village où l’instituteur doit gérer des élèves de 6 à 12 ans dans une même classe. C’est une mini-école mutuelle.
Lorsque l’on individualise l’enseignement, l’hétérogénéité n’est plus un problème.
Guy Vlaeminck, président de la Ligue de l’Enseignement
Témoignage recueilli par l’auteur, octobre 2014
Dans les deux versions de l’histoire, la classe comporte des élèves plus rapides et d’autres plus lents. Une troisième option ne serait-elle pas de rassembler les élèves par niveau plutôt que par année de naissance ?
Avez-vous déjà vécu cette expérience, comme prof ou comme élève: chacun progresse à un rythme différent ? Mais attention, si à la fin de l’année, l’examen est le même pour tous, alors c’est chiqué!