Comme j’ai reçu des commentaires positifs sur mes deux histoires de randonnées extraites du livre “Sauver l’école ?”, pourquoi ne pas en suivre une troisième, avec cette fois, un autre paramètre: le nombre de profs. Nos promeneurs arrivent en secondaire et c’est la pagaille!
Revenons à notre métaphore pédestre. Nos enfants sont arrivés en secondaire. Cette fois, ce n’est plus un instituteur, mais huit enseignants qui vont tenter de les mener de Bruxelles à Londres. Le lundi, ils commencent par deux heures de navigation maritime avec un professeur. Après la récréation, un autre enseignant leur donne cours de pudding à la menthe. L’après-midi, un troisième larron donne une heure d’anglais, et ainsi de suite. Cette spécialisation des enseignants ne facilite pas les relations. Difficile d’être aussi proche de chaque professeur, qu’on ne voit qu’une paire d’heures par semaine, que de l’instituteur, qu’on voyait tout le temps.
De plus, chaque enseignant a « son » programme à boucler. Si certains élèves ne sont pas encore capables de faire la route jusqu’à Ostende, ce n’est pas le problème du professeur de navigation ! Il ne peut tout de même pas arrêter son cours pour apprendre la randonnée aux retardataires. De toute façon, son diplôme d’enseignant mentionne explicitement qu’il ne peut et doit enseigner que la navigation maritime. Tous ses élèves passeront le même examen de navigation ensemble le 15 juin. Sans compter que s’il se risquait à parler de randonnée, on pourrait le descendre de barème salarial !
Un tel environnement s’accommode mal de l’hétérogénéité. Moins encore qu’en primaire, Kevin et Lea n’auront l’occasion d’avancer à leur rythme. Ils n’auront d’autre choix que d’accrocher leur wagon au ventre mou de leur classe d’âge, du moins à première vue. En effet, alors qu’il arrive officiellement en fin de deuxième secondaire, Kevin n’a jamais su gravir correctement une montagne et il est incapable de quitter un port sans détruire les pontons. Il a déjà redoublé deux fois, il va avoir 16 ans, il a été largué au test PISA, il en a marre, il décroche.
La spécialisation des enseignants, différence fondamentale entre le secondaire et le primaire, explique pourquoi les classes uniques de village sont banales en primaire et pour ainsi dire inexistantes en secondaire. Faire avancer chacun à son rythme à ce niveau n’est en effet réaliste qu’avec des enseignants moins spécialisés de manière à ce que les élèves ne soient en contact qu’avec quatre ou cinq professeurs différents chaque année.
Je suis d’accord d’être plus polyvalente et d’aider les enfants sur des projets transversaux, pluridisciplinaires. Je suis une professionnelle de l’éducation avant d’être une spécialiste ultra-pointue de telle ou telle matière. Les enfants n’ont aucun problème avec cela : quand nous ne savons pas, je les aide à trouver l’information sur Internet, ce qui les aide à assimiler une démarche scientifique et à devenir autonome. Ils sont très motivés et très rapides. Par contre, les parents et le directeur ne supportent pas qu’on puisse enseigner des choses que l’on ne maîtrise pas à fond.
Une enseignante en sciences dans le secondaire inférieur. Témoignage recueilli par l’auteur
J’avoue avoir tronqué le reste de l’histoire par rapport au livre, afin de focaliser la rélfexion sur la spécialisation des enseignants. Un enseignant (primaire), est-ce trop peu? Dix enseignants, est-ce trop? Si vous pouviez faire table rase des statuts, des circulaires et autres règles, comment organiseriez-vous les deux premières années du secondaire de votre école idéale? Combiens de profs pour combien d’élèves? Qui s’occuperait de quoi?