Quelques notes de guitare accompagnent mon entrée dans les pavillons de l’école. Un petit groupe de jeunes d’une bonne quinzaine d’années joue et discute dans des fauteuils. Les autres élèves et leurs enseignants sont dans les salles de classe, occupés aux apprentissages de la 3e à la 6e secondaire.
— Bienvenue dans « l’Alter-Ecole » !
Un des deux coordinateurs de l’école m’a surpris. Après les présentations d’usage, une discussion passionnée est lancée. Il me retrace les périples de la « pédagogie Nomade » de 2008 à 2011, une école publique alternative dont j’avais lu les écueils dans la presse. Des profs et des parents de cette expérience défunte ont réécrit le projet et se sont installés à Clavier, dans le site que je visite ce jour. 85 % des élèves ont suivi.
— Nous avons essentiellement des élèves en décrochage scolaire, m’annonce l’autre coordinateur.
— Vous voulez dire qu’ils ne viennent plus dans votre école ?
— Non, ils étaient en décrochage dans leur ancienne école et ici nous parvenons presque à les avoir à temps plein. L’école a sauvé de nombreux élèves de situations impossibles.
Qu’a fait cette école pour aider ces élèves en situation impossible ? C’est bien ce que je compte découvrir lors de cette visite.
L’élément central mis en avant par la direction est l’autonomie comportementale des élèves. Une architecture d’institutions internes permet la prise de décisions collectives, telles que les règles d’accès à la cuisine. Cette « pédagogie institutionnelle » est prise au sérieux. Des réunions hebdomadaires permettent de régler les conflits profs-élèves et profs-profs entre pairs. Pour la mise en place de cette cellule « médiation », L’Université de Paix à Namur les suit depuis 1 an et demi.
Dans la même lignée, l’école pratique la cogestion. Alors que nous marchons vers la cuisine, nous voyons des élèves laver le grand hall sol à l’eau, sur fond de musique « jeune ». Un coordinateur explique :
— Nous n’avons pas de personnel de cuisine ni d’entretien. Les élèves prennent cela en charge sous la guidance d’un prof.
— Sauf pour l’administratif, précise l’autre coordinateur, on n’est pas encore bien organisé pour identifier les tâches déléguables.
— Vous avez donc moins d’adultes rémunérés que dans les autres écoles ?
— Pour 60 élèves, nous avons 9 équivalents temps pleins et demi, répartis sur 12 professeurs.
— C’est plus que dans les autres écoles, alors que vous n’avez pas de personnel d’entretien…
— Nous travaillons avec seulement 15 élèves par classe.
— Est-ce qu’organiser vos élèves pour qu’ils s’enseignent les uns aux autres allègerait-il la charge des adultes ?
— Il y a des moments de tutorat et de remédiation, mais nous en sommes aux balbutiements. Pour les élèves, être tuteur est perçu comme du travail supplémentaire.
Plus tard, j’interrogerai le tandem sur les perspectives d’avenir de leur école et de leur méthode. En tant qu’école « pilote », ils bénéficient de certaines dérogations. Tout le débat sur l’autonomie de l’école est ici en jeu. D’un côté l’équipe éducative accomplit un petit miracle et le réseau veut que ce miracle perdure. D’un autre côté, la machine bureaucratique est génétiquement programmée pour contrôler la manière de faire là où l’on préférerait qu’elle se concentre sur le résultat.
Concrètement, les élèves ne peuvent pas tondre la pelouse eux-mêmes, mais ils peuvent cuisiner, une question d’assurance. Autre exemple : l’organisation d’ateliers interdisciplinaires et mélangeant des élèves de différentes années se confronte aux grilles officielles de cours que tout élève inscrit dans les écoles du réseau doit suivre. Assurances, titres, fonctions et autres machineries bureaucratiques n’ont pas été conçues pour des situations imprégnées d’agilité. Comment dès lors étendre le projet à d’autres écoles ?
Un des coordinateurs poursuit sur l’exemple du recrutement :
— On repère vite les profs candidats qui ne conviendront pas ici alors qu’ils pourraient convenir à l’enseignement traditionnel.
— Comment ? Ils viennent en uniforme ?
— Non, mais leurs questions tournent autour de l’horaire, du nombre d’heures à prester et du salaire. Si on est un jour soumis aux désignations, cela va devenir une mascarade ici.
— Qui décide du recrutement alors ?
— L’équipe éducative procède par cooptation.
Le coordinateur poursuit dans la logique. On ne peut pas imposer un fonctionnement comme cela a une équipe. C’est l’équipe qui doit l’initier, le vouloir. Par exemple, les enseignants sont présents même quand ils n’ont pas cours. Le moins présent est un temps partiel à 12/20e et il vient 2 jours et demi. Ici, ce sont des journées complètes de 9 heures à 17 heures parce qu’il y a plein de choses à faire, y compris la réunion d’équipe hebdomadaire. La cooptation permet de filtrer les profs qui sont d’accord, avec une immersion pour les candidats. Il n’y a absolument pas de résistance vis-à-vis de cela au sein de notre équipe, précise le coordinateur.
— Et sur le plan des apprentissages, quel est le niveau ?
— Nous suivons le même programme que l’Athénée Royal d’Ouffet à laquelle nous sommes adossés.
— Les élèves passent-ils les examens externes, par exemple en fin de 4e secondaire ?
— Oui, c’est le CE2D. Cela colle bien à la culture de l’école que l’enseignant soit un coach, un allié pour préparer une évaluation extérieure.
— Vous voulez dire que le fait de ne pas être juge et partie a un impact positif sur la motivation des élèves ?
— En effet, même si cela reste difficile d’attiser un sens de l’urgence chez des élèves de 3e qui savent que leur « vrai » examen est dans plus d’un an. Mais on y arrive avec un certain succès, vu la file d’attente pour les inscriptions.
Pour conclure, la direction résume les principes de l’Alter-Ecole comme suit :
. processus démocratiques,
. cooptation entre enseignants,
. pratique réflexive de l’équipe éducative,
. inderdisciplinarité,
. projets,
. pédagogie active,
. cogestion.
Lorsque nous arrivons enfin aux cuisines, c’est avec fierté que des élèves me font goûter leur fameuse sauce bolognaise aux épices orientales. Je les quitte l’esprit chargé d’idées et le ventre plein.