-Pardon, Monsieur, je n’ai pas bien compris.
-As-tu demandé à un élève qui a compris?
-Oui, mais les autres n’ont pas trop compris non plus ou ne sont pas encore arrivés là.
-As-tu regardé une des vidéos que j’ai conseillées?
Ces vingt dernières années, j’ai pris l’habitude de pratiquer la classe inversée. J’avais une PME de formation informatique pour professionnels qui a, entre autres, formé des centaines de demandeurs d’emploi dans des classes de plus en plus inversées. Puis, j’ai tenté l’expérience en tant qu’instituteur primaire en 2014, pour mieux comprendre ce que pourrait être la transition de l’enseignement. Mais de quoi s’agit-il?
L’idée maîtresse de la classe inversée, est que l’enseignant donne très peu d’exposés théoriques à toute la classe. Il invite les élèves à regarder de tels exposés sous forme de vidéos, à l’école ou à la maison. Dans le cadre de ma classe de 4e primaire, je donnais en moyenne une demi-heure d’explications collectives sur la matière chaque semaine. Mais alors, à quoi ai-je passé mon temps en classe? J’organisais des activités autour de la matière. Cela peut-être très scolaire et simple. Par exemple, pour la division écrite, l’activité consistait à s’exercer, encore et encore, jusqu’à l’acquisition de la compétence. En français, cela pouvait être l’étude de l’indicatif présent de trente verbes irréguliers.
Quel avantage, me direz-vous? Le fait même d’inverser la classe n’est pas très intéressant. Que l’élève obtienne l’explication via une vidéo plutôt que de vive voix ne constitue pas une amélioration, sinon du fait qu’il a déclenché la vidéo proactivement. Par contre, les conséquences possibles de la classe inversée sont d’une grande valeur: désynchronisation, responsabilisation et enseignement mutuel.
Traditionnellement, lorsque l’enseignant explique les divisions écrites au tableau, il le fait pour toute la classe. Chaque élève est obligé de suivre “le train du programme” en même temps. Or, de mon expérience, la différence de vitesse entre les élèves plus rapides et plus lents est d’un facteur trois, les plus rapides allant trois fois plus vite que les plus lents. Cela veut dire que beaucoup d’élèves s’ennuient, perdent leur temps, alors que d’autres sont largués et perdent confiance. Par contre, si l’élève regarde une vidéo sur une tablette ou un smartphone, écouteurs aux oreilles, il obtient l’explication théorique exactement au moment où il en a besoin et autant de fois qu’il en a besoin. Commence alors la désynchronisation. C’est, pour moi, la base de l’enseignement différencié. Plutôt que d’obliger tous les élèves d’une classe d’âge à courir en cadence, quitte à saturer certains de rattrapages et de remédiations, on va permettre à chaque élève d’aller à sa propre vitesse.
“Certains ne vont plus rien faire”, pourrait-on craindre. C’est un risque, en effet. Vient alors la deuxième conséquence possible d’une classe inversée bien gérée: la responsabilisation. L’idée est de placer l’élève en position de pilote de sa formation. C’est lui qui décide de faire un exercice ou bien qu’il est plutôt temps d’appuyer sur le bouton “marche” de sa vidéo. Je passe une grande partie de mon énergie à pousser les élèves à entreprendre, plutôt qu’à rester assis et silencieux. Lorsque je mets une classe inversée en place, je fixe d’abord les objectifs à atteindre par les élèves sur trois semaines. Ils savent exactement comment ils seront évalués au contrôle, et je les incite à passer des tests quotidiens pour s’auto-évaluer et à s’entraîner jusqu’à ce qu’ils maîtrisent le point de matière avec une cote de 80 %. Lorsque la mayonnaise prend, la classe est prise dans une addiction collective comparable à celle ressentie dans la progression d’un jeu vidéo.
La troisième conséquence est la classe mutuelle. Mes élèves ne regardaient pas beaucoup les vidéos que je leur mettais à disposition. Ils préféraient s’expliquer la matière entre eux et s’entraider sur les exercices. Pour cela, je les encourageais à se déplacer et à parler en classe. Comment éviter la foire? Ca, c’est une longue histoire écrite dans le chapitre 6 du livre “Sauver l’école?”.