— Désyncrhonisation… Quel vilain terme nous proposez-vous là, Monsieur Rizzo !
— C’est un mot familier dans mon monde.
— Je n’en trouve pas trace dans la littérature pédagogique.
— Mon autre monde … l’informatique.
— Chez nous, dites “différentié”.
De plus en plus d’acteurs se lèvent pour aider notre système scolaire à franchir le cap d’une transition sociétale, civilisationnelle diront certains. Le Pacte pour un enseignement d’excellence est la plus visible de ces initiatives en Belgique francophone. Personnellement, cela fait quelques années que je décortique la forme scolaire pour comprendre, pour identifier les causes du malheur de ce monde en souffrance. Des causes et des effets inextricablement imbriqués les uns dans les autres: l’autorité, la motivation, les relations avec les parents, la pédagogie, le financement, la direction, le redoublement, les inscriptions,… la liste est interminable ! Au début, je me posais la question suivante:
“Quelle est la cause du mal-être de notre système scolaire ?”
Très vite, c’est devenu:
“Quelles sont les principales causes du mal-être de notre système scolaire?”
Pour finalement laisser place à ceci:
“Quel est le principal verrou à ouvrir pour aider tant d’enseignants de bonne volonté à s’attaquer aux causes du mal-être de notre système scolaire?”
La réponse qui m’est tombée dessus est “la désynchronisation des élèves”. J’ai beau la chasser par la porte, elle revient par la fenêtre. Elle était déjà là il y a 20 ans quand j’ai commencé à former des adultes chez IBM. Je suis pourchassé. Ce concept m’a traqué jusque dans les classes de primaire, dès mon premier jour, quand Ahmed, 7 ans, m’a demandé “J’ai fini Monsieur, j’fais quoi ?”. Non, je ne lui ai pas répondu: “Mets-toi en veille et attends que les autres aient fini”. Ou, en termes informatiques: “Resynchronise-toi au reste de la classe”. Ou, en termes algorithmiques:
Tant que (lesAutres.fini = faux) {
fais le mort;
attends une seconde;
et ne me dérange surtout pas;
}Le cahier de dépassement et les heures de remédiation sont deux outils de re-synchronisation. L’un occupe l’élève surtout sans lui permettre d’avancer dans la matière, l’autre lui propose de rattrapper “le train du programme”.
Qu’en dit le Larousse ?
Synchroniser: Faire se produire deux ou plusieurs choses dans le même temps ou dans une succession précise, les coordonner.
Une version pédagogique de cette définition pourrait être:
Synchroniser une classe: Faire apprendre la matière aux 25 élèves d’une classe dans le même temps, dans une succession précise.
En termes systémiques, il me semble que le verrou qui cloisonne le plus l’organisation de l’école est le rapport au temps. Dans un extrême, l’enseignant déroule le programme de septembre à juin et les élèves suivent comme ils peuvent que ce soit trop lent ou trop rapide pour eux. La cote du bulletin indique s’ils sont suivi le rythme commun et ceux qui ne suivent pas redoublent ou sont relégués dans une autre filière car la classe doit rester homogène pour suivre le train du programme. C’est la pratique la plus répendue actuellement chez nous.
Dans l’extrême inverse, chaque élève reprends de là où il est pour avancer à son rythme. C’est l’exigence de réussite de chaque chapitre qui est figée. La variable est mise sur le temps, et le bulletin indiquerait la vitesse d’apprentissage de l’élève qui, en janvier, n’est pas arrivé au même chapitre du cours que son voisin.
Précisions que désynchroniser ne dispense pas de valoriser le travail et le sens de l’effort sans quoi la classe se transforme en garderie. Désynchroniser, c’est libérer les élèves pour que chacun puisse se dépasser. Oui, quand on désynhronise, on différentie. L’inverse n’est pas forcément vrai. On peut différentier sur la manière d’apprendre, tout en exigeant aux élèves d’êtres synchronisés sur le même chapitre. Par exemple, un élève peut apprendre la règle de trois en regardant une vidéo tandis qu’un autre résoud un problème sur le même thème. On différentie alors sur la manière, mais pas sur le temps. On ne désynchronise pas.
Voici les trois questions que l’on me pose le plus souvent sur la désynchronisation:
- Est-ce une pédagogie ? (non !)
- Est-ce possible avec une grande classe ? (oui !)
- Comment faire ? (euh…)