— Comment se passe le recru­te­ment, Chris­tine ?
— Sur une cinquan­taine de CV, j’en ai retenu quinze.
— Tu les as déjà appe­lés ?
— Oui. Il y en a quatre qui me semblent vrai­ment inté­res­sants. J’es­saie de les placer dans ton plan­ning de la semaine prochaine. Tout se passe bien.

Non, tout ne se passe pas bien. Disons plutôt que cela se déroule comme d’ha­bi­tude. Cinquante CVs, quinze présé­lec­tion­nés sur papier, quatre inter­views. Les chiffres varient selon les périodes, les fonc­tions et les secteurs, mais je suis certain que tous les patrons se retrouvent dans ces chiffres. Ils sont mauvais. Alors que ma région étouffe sous le chômage, pourquoi mon office mana­ger juge-t-elle que quarante-six candi­dats sur cinquante, 92% ne valent même pas la peine que je les rencontre ?

Sont-ils mauvais ? Dans le jargon des ressources humaines, on leur dira que “votre profil ne convient pas tout à fait à la fonc­tion, on vous écrira si une autre fonc­tion se libère”. C’est ça…

Ces quarante-six candi­dats immé­dia­te­ment évin­cés sont proba­ble­ment en colère. Voire pire, rési­gnés. Ce n’est certai­ne­ment pas la première fois “qu’on leur écrira”. Ils ne se doutent pas que je suis aussi déçu qu’eux. Qu’est-ce qui a pu se passer depuis leur nais­sance pour qu’aujourd’­hui, je les traite ainsi ?

Pâtes au menu et plus personne au rebut : l’école de la réus­site est en marche. La société et le marché de l’em­ploi sélec­tion­ne­ront ensuite ces jeunes, et de façon impi­toyable. […] En avant, cama­rades, c’est la chute finale!
Frank Andriat, profes­seur de français – Les Profs au feu et l’école au milieu

J’ai voulu comprendre. Tenter une enquête au sein de notre système scolaire pour en déce­ler les failles, détec­ter là où, concrè­te­ment, le bât blesse. C’est une aven­ture qui m’a amené à quit­ter mon entre­prise et à inté­grer moi-même une salle de classe. Une aven­ture humaine qui se pour­suit aujourd’­hui, au quoti­dien. Avec toujours en tête ces ques­tions : notre système scolaire est-il effi­cace ? Et dans le cas contraire, que peut-on y faire ? Et enfin, à quoi pour­rait bien ressem­bler notre système scolaire dans trente ans ?