[Cette histoire a été retirée du livre parce qu’elle parle du travail hors de l’école et des congés scolaires. Pas vraiment le sujet du livre. Et sujet de discorde…]
Je connais quelques femmes qui enseignent depuis plus de vingt ans et qui sourient encore. Comment est-ce possible ? J’hésite à le dire. Les fanatiques du tout-prof vont hurler. Les rien-qu’aux-élèves-pour-toujours trépigner. Les mamies Rénova me conspuer. Ces femmes vivent de grandes choses ailleurs. Une vie extra-scolaire que ça s’appelle. Dans la corporation, on cache ça comme une maladie honteuse. On se fait croire qu’on travaille tout le temps, jour et nuit. Surtout le jour. Surtout la nuit. Même sur la plage, ça pédagogie en nous.
Alain Golomb – Profs et Cie
Chaque semaine, j’ai l’occasion d’accompagner le “Monsieur de gym” à la piscine avec les élèves. Pendant que les enfants se rhabillent, nous discutons, le professeur de sport et moi. Je l’ai dit, le bassin de dix-sept mètres est installé dans l’enceinte même de l’école. La première fois que j’y suis venu, les élèves faisaient une longueur, sortaient de l’eau, retournaient en marchant à leur point de départ et recommençaient. Conscient de l’inanité de la situation, l’astucieux enseignant a installé un système de couloirs avec des élastiques afin de forcer les élèves à nager quatre longueurs à la suite avant de sortir de l’eau.
— Ton système d’élastique est super !
— Oui, les élèves nagent bien plus qu’avant.
— Cela se voit, leurs muscles fatiguent.
— Ils font des progrès incroyables. Beaucoup ne savaient pas nager en septembre. Cette année, on tente le brevet de cent mètres. J’espère arriver à leur faire faire de grandes distances dans deux ans, quand ils seront en sixième.
— Je suppose qu’ils se débrouilleront mieux après les vacances de Pâques. En classe, Pamela m’a dit que sa famille partait en Égypte. Elle aura probablement une piscine à l’hôtel.
— Détrompe-toi, les parents ne les emmènent jamais nager. La plupart n’a jamais appris à nager. Les vacances vont juste leur faire perdre une bonne part de leurs acquis. Et je ne te parle pas des grandes vacances.
— Les congés d’été m’ont toujours semblé particulièrement longs.
— Sincèrement, je n’aurais personnellement besoin que de trois semaines. D’ailleurs, c’est simple, pendant l’été, j’anime des stages pendant six semaines. Je préférerais largement qu’on raccourcisse les congés d’été de deux semaines, quitte à rallonger les congés d’automne et les congés de détente en mars.
— Sans compter que les cours s’arrêtent au 15 juin. J’ai toujours trouvé cela râlant, comme parent : en Flandre, ils ne prennent pas tous ces jours blancs.
— Et je ne te parle même pas de ma situation : à ton avis, les enfants ont beaucoup de cours de gym en juin, avec les examens et les délibérations ? En primaire, ça va encore mais dans le secondaire, mes collègues se retrouvent avec deux mois complets où ils sont inoccupés : décembre et juin. Six mois de congés par an, tu imagines ?
Pour alarmante que soit cette conversation, il convient comme souvent de relativiser. Certains professeurs d’éducation physique motivés utilisent par exemple ce temps de chômage technique à diverses tâches directement utiles à l’école et pendant l’année, nombre d’entre eux organisent de grands championnats interécoles. De la même manière que les professeurs de langues consciencieux croulent sous les corrections, ou que les scientifiques éclairés préparent soigneusement des expériences compliquées.