Ce matin, mes élèves assistent à un spectacle sur l’eau. Un Français d’une cinquantaine d’années est venu s’installer dans la salle vidéo de l’école, un casque-micro sur la tête. Il désigne les places libres à ma classe. Les élèves de troisième sont déjà installés. Nous nous retrouvons donc à trois encadrants dans la même salle : ma collègue de troisième, l’homme du spectacle et moi-même.
Pendant que le projecteur vidéo diffuse des séquence filmées et musicales, le conteur retrace le parcours de l’eau dans un langage poétique et fleuri. Il jongle avec les pauses, les surprises, les questions aux enfants, les conseils éco-citoyens et les tours de magie.
La qualité didactique de l’ensemble me semble remarquable. Il mélange physique (états de la matière), botanique (racine des arbres), anatomie (nous sommes constitués d’eau), géologie (nappes phréatiques), géographie (cascades du Brésil), sociologie (comportement de consommation), mathématiques (calcul de consommation d’eau), écologie (gestes responsables), français (langage recherché) et art (de la scène, musical, vidéo). Son spectacle est impressionnant, très professionnel et efficace.
Cela me remet à ma place : jusqu’à présent, j’ai cru me débrouiller honorablement sans préparer mes leçons mais là, cet enseignant-compteur-magicien-réalisateur remet l’église au milieu du village. Il démontre avec talent à quel point un exposé magistral, méticuleusement préparé ou non, peut devenir un vecteur d’enseignement puissant. Pour arriver à un résultat similaire, j’aurais dû travailler 120 heures par semaine. Quant à ce monsieur, qui doit en être au moins à sa centième représentation, son temps de préparation doit être largement amorti. Dans mon esprit, il se situe à mi-chemin entre le cours ordinaire et le coûteux — mais remarquable — reportage scientifique de la BBC.
Pour toute une journée dans l’école, soit trois représentations, chacune adaptée à l’âge des élèves, le gaillard reçoit 3,5 € par élève. Selon mes calculs, sur l’ensemble des élèves, cela doit tourner aux environs de 420€, ce qui est comparable au coût journalier d’un enseignant de son âge (compte tenu de l’ONSS patronal, du précompte, des jours de congé scolaires et de maladie, des pécules de vacance, de la pension, etc.).
Dans mon ancien métier, à savoir l’organisation de formations professionnelles, la plupart des formateurs étaient des sous-traitants engagés ponctuellement pour quelques jours en fonction des besoins. Que se passerait-il si une partie du corps enseignant était composée de sous-traitants comme cet artiste de génie, tournant d’école en école, appelés en fonction du marché de l’offre et de la demande ? Bien entendu, on garderait un titulaire fonctionnaire qui assurerait une relation suivie avec l’enfant. Un sous-traitant particulièrement apprécié des instituteurs et des directions serait appelé plus souvent que les autres alors que les médiocres auraient des difficultés à trouver du travail. Serait-ce mieux que maintenant ? Tout en me posant la question, je me laisse emporter par l’intelligence et la poésie du spectacle dans une ambiance tamisée. Les yeux des enfants brillent. Les miens aussi.