[Voici la version complète d’une histoire brièvement résumée dans le livre]
Afin d’aider mes élèves à développer leur capacité de synthèse et de prise de parole en public, j’ai décidé d’intégrer au troisième dossier l’expérience tentée en extérieur : une présentation de leur personne en soixante secondes chrono. Je leur impose une contrainte complémentaire : ils devront confectionner un diaporama informatisé qui sera projeté au mur pendant qu’ils parleront.
— L’année passée, avec Madame, on utilisait un panneau en carton pour les présentations.
— Laisse tomber le panneau, Igor. En général, quand des enfants de votre âge utilisent un panneau, ils y collent de petites images invisibles par les autres enfants assis dans la classe. Nous disposons d’un matériel fantastique, qui permet d’amener des effets de surprise, pourquoi s’en priver ? Si tu veux faire rire tes copains, fais une présentation sur ordinateur ! Tous les professionnels font leurs présentations ainsi. Alors, vous êtes des pros ou des branquignols ?
— On pourra la préparer à la maison et l’apporter à l’école sur une clé USB ?
— Oui, mais alors avec un âne pour porter la clé. Ou bien ta grand-mère. Ou alors, je te montre comment créer une présentation sur le cloud, accessible de n’importe quelle machine reliée à Internet…
Le choix est vite fait : je montre à toute la classe comment créer une présentation en ligne avec Google Drive. Aucun logiciel n’est nécessaire et dès le lendemain, ceux dont les parents ont accepté le principe arrivent avec leur propre compte Google. Pour les autres, j’ai créé un compte commun, partagé, mais je les ai prévenus que techniquement, leur travail pouvait être saccagé à tout moment par un camarade de classe malveillant.
Il y a dans mon groupe trois enfants qui n’ont pas Internet à la maison et je leur ai donné une priorité d’accès aux ordinateurs de l’école. Piotr lui, prétend n’avoir “Internet qu’en Polonais”. Je note de tirer cette histoire au clair avec sa grande sœur.
Ensuite, je leur propose de mettre la moitié de leur long temps de midi à profit pour venir faire leur montage. Cela se fait sur base volontaire : je ne peux pas leur imposer de rogner sur leur précieux temps de détente. Une bonne moitié de la classe décide de venir plutôt que de jouer au football sous le soleil. La petite bande est super-motivée : ils s’amusent, se montrent leurs trouvailles, trouvent des photos de palaces pour figurer leur maison, s’entraident au moindre embarras technique. Je suis témoin d’une pure pédagogie de projet socioconstructiviste. En réalité, c’est encore mieux car je n’interviens à aucun moment. C’est de la pédagogie sans prof, comme dans l’expérience “hole in the wall” où ce professeur indien avait placé un ordinateur dans le mur de son bureau pour voir ce que les enfants en feraient sans avoir reçu la moindre explication.
En définitive, moins de deux heures auront suffi pour que toute la classe acquière en quasi autonomie une intelligence collective : ils sont désormais capables de créer un compte Google, de s’y connecter, de créer une présentation, d’y écrire du texte et d’y placer des images. La première heure, je les ai encore un peu aidés mais dès la deuxième heure, je me suis carrément senti indésirable ! Le soir même, ils seront nombreux à poursuivre leurs expériences à la maison. Et la grande soeur de Piotr aura le temps de lui expliquer qu’Internet n’est pas qu’en polonais…
Une semaine plus tard, ils réalisent tous une présentation brillante avec création projetée au reste de la classe et, bonus, aux yeux épatés de la direction. Alors que je suis généralement avare de points, l’évidence m’a forcé à leur octroyer à tous une très bonne note.
— J’ai eu 28/30, les gars, ça me fait 93 % en français, je n’ai jamais eu cela !
— Tu les mérites, Piotr, ton travail paie.
— Ma mère va pas le croire, je suis trop content !!!
La peur que les élèves en sachent plus que lui dans la manipulation d’un ordinateur ou des logiciels paralyse ou gêne plus d’un professeur.
Bilan critique en matière d’utilisation pédagogique des NTIC dans le secteur de l’éducation.