Lorsque je visite une école sans y intervenir, je me rends dans des établissements qui sortent de l’ordinaire. Dans le genre, il semblerait que la Belgique soit un beau vivier. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être reçu par une école privée Bruxelloise, une école « de jury » que l’on m’a décrite comme très efficace.
Une école privée ? Vade retro satana ! Bandits, détrousseurs de parents, suppôts du grand capital, pourrait-on dire…
Ce n’est en tout cas pas du tout l’impression qui m’est venue en entrant dans le sobre bâtiment qui ne respire ni le luxe, ni les dépenses frivoles. Au premier coup d’œil, impossible de faire la différence avec une école publique.
Pour comprendre, estimons des montants financiers. Les enseignants sont 19 pour 100 élèves, soit près du double de l’encadrement d’une école publique. Leurs coûts salariaux doivent donc être deux fois supérieurs aux 6 130 € (moyenne 3-18 ans hors bâtiments) par élève par an de l’école publique. Cela semble correspondre au prix demandé aux parents. Financièrement, cette école est privée parce que salaire des enseignants est payé par les parents plutôt que par l’État. Ce n’est pas écrit sur le front de ces profs et je serais bien incapable de les identifier dans une foule, telle qu’au salon de l’éducation.
Mais alors, si les profs sont « pareils », pourquoi diable mettre son enfant dans une école qui n’est pas financée par l’État ? Parce qu’il y a plus d’enseignant par élève ? Sur « papier », les parents y seront peut-être sensibles, mais je ne crois pas que l’efficacité de cette école vienne de là. Des centaines de recherches convergent d’ailleurs ces 50 dernières années pour dire que la quantité d’encadrement n’est qu’un facteur « mineur » de succès par rapport à d’autres.
Alors pourquoi diable payer cette école que l’État ne veut pas financer ? Bruno Terlinden, directeur et fondateur me répond :
– C’est l’école de la dernière chance, souvent après avoir tout essayé. Quasi tous nos élèves nous arrivent en difficulté, après un ou plusieurs redoublements.
– Quel est leur plus gros problème ?
– Beaucoup de parents ont du mal avec les assuétudes tel que les jeux vidéo et Internet. Nous avons souvent affaire à des enfants rois que les parents ne parviennent plus à remettre au travail.
– La perspective des examens ne suffit plus à les faire travailler à la maison ?
– Non. Pour un adolescent, ce qui se passera dans plusieurs semaines correspond à une éternité qui ne le préoccupe pas.
– Comment faites-vous alors pour les « remettre au travail » ?
– C’est très simple : ils ne quittent pas la table tant qu’ils n’ont pas fini leur assiette. L’école est ouverte de 9 heures à 20 heures Si le test du matin est réussi, ils peuvent sortir sur le temps de midi. Ceux qui ont au moins 40 % peuvent partir à 16 heures Les autres qui ont au moins 20 % partent à 18 heures et ceux qui ont moins de 20 % restent jusqu’à 20 heures.
– Donc la carotte immédiate de partir plus tôt les incite à se concentrer ?
– Exactement. Par exemple, en math, les règles algébriques ne sont pas très compliquées. Les formules à connaître pour réussir son jury tiennent sur une ou deux pages. Par contre, pour assimiler ces formules, qu’elles deviennent des automatismes, le cerveau à besoin d’énormément d’entraînement, donc d’heures de travail productives. L’élève qui flâne reste plus longtemps. C’est très dissuasif et l’école est presque vide à 16 heures.
La clef du système Bois Sauvage semble être « un cadre contraignant, bien compris par les élèves et bienveillant ». Et cela fonctionne. Ces élèves détraqués remontent la pente et réussissent très majoritairement leur grand jury en un temps record.
– Comment fonctionne le système de jury ?
– Deux fois par an, les élèves peuvent se rendre à l’Administration pour passer l’examen de la matière pour laquelle ils sont prêts. Dès qu’un examen est réussi, ils ne doivent plus se soucier de cette matière et se concentrent sur celles qui restent.
– Ce système de jury n’a-t-il pas changé récemment ?
– Oui, et pour un mieux. Il ne reste que deux examens oraux : français et langues modernes. Les autres sont tous devenus écrits, ce qui évite des partialités qui étaient parfois effarantes. Le nombre de sessions va augmenter, et donc avec elles, les échéances qui incitent les élèves à redoubler d’effort. Le gouvernement a aussi limité l’accès au « jury professionnel » qui franchement n’est pas un départ efficace vers des études supérieures.
Au quotidien, l’école alterne cours et tests au finish. Une astucieuse informatisation permet aux parents d’être prévenus en temps réel dès que leur enfant réussit un test. D’après le directeur, c’est plus efficace qu’un prof particulier car pour ces élèves, le problème n’est que très rarement la compréhension. C’est plutôt le réapprentissage du travail.
Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer l’enseignement mutuel. Il est très peu présent dans cette école. Il permettrait probablement de diminuer l’encadrement professoral sans nuire aux apprentissages si un nouvel équilibre était trouvé. Voie d’exploration?
La prochaine fois que j’entendrai dire du mal des écoles privées, je repenserai à ces dizaines de jeunes que j’ai vus à Bois Sauvage. Leur éducation combinée à leur école publique les a démolis au point que leurs parents renoncent au paiement de la scolarisation de leurs enfants par l’État. Ecole-privée-hôpital ?