Dans la prime jeunesse d’In­ter­net, une société améri­caine avait débloqué un budget fara­mi­neux pour créer une ency­clo­pé­die consul­table en ligne. Maints spécia­listes étaient payés un pont d’or pour rédi­ger des articles et illus­trer notre civi­li­sa­tion. À l’époque il était impen­sable de faire créer un tel ouvrage par un collec­tif désor­ga­nisé de béné­voles désar­gen­tés dont le pedi­gree acadé­mique n’avait pas été passé au crible. C’est pour­tant ce que Wiki­pe­dia a fait. Certains se sont indi­gnés et mis le sérieux de l’ou­vrage en doute. Peine perdue. Une telle tran­si­tion disrup­tive est virale, irré­sis­tible.

Uber a fait de même avec les taxis. Notre vieux système écono­mique a vite créé quelques lois d’in­ter­dic­tion. Mais nous savons tous, au fond de nous, que c’est peine perdue.

Même topo avec « Menu next door », un service inter­net mettant des voisins qui cuisinent en contact avec des voisins qui ont faim. L’AFSCA (Agence Fédé­rale pour la Sécu­rité de la Chaîne Alimen­taire) peut convul­ser autant qu’elle veut, la tran­si­tion est socié­tale, mondiale et irré­ver­sible.

Qu’en est-il de nos écoles ? Cons­ta­tons d’abord que rares sont ceux qui osent encore dire que tout va bien. Notre société évolue beau­coup plus vite que l’école et l’écart se creuse. Ceux qui veulent la fuir pour une école privée ou un ensei­gne­ment à la maison sont de plus en plus nombreux.

Cons­ta­tons ensuite que l’école a beau­coup de mal à évoluer. Les inno­va­tions éparses que l’on observe sont géné­ra­le­ment sans lende­main. Sauf le tableau vert remplacé par le tableau blanc que je ne trouve pas boule­ver­sant. Non, la vraie ques­tion est : « l’école va-t-elle dispa­raître ? »
L’école encore en vigueur chez nous ressemble actuel­le­ment trop souvent à une usine ou à une caserne. Cette école-là est vouée à dispa­raître. Et je ne la regret­te­rai pas, même si elle a bien servi dans notre bon vieux XXe siècle que je ne suis pas certain de regret­ter non plus.

Par contre, je suis convaincu que nous avons toujours besoin d’un lieu où les enfants se rassemblent pour apprendre. Je ne sais pas s’il sera obli­ga­toire, ni si tous les enfants le fréquen­te­ront tous les jours. Je ne sais pas si les adultes enca­drants seront fonc­tion­naires, ni s’ils s’ap­pel­le­ront « ensei­gnants ». Je ne sais même pas si ce lieu s’ap­pel­lera toujours « école » plutôt que « biblio­thèque » ou « maison des jeunes ».

Par contre, je suis certain que les jeunes appren­dront maints savoirs et compé­tences. C’est biolo­gique et anthro­po­lo­gique. Biolo­gique car notre cerveau est taillé pour apprendre. Il ne peut s’épa­nouir qu’en appre­nant. Anthro­po­lo­gique car nous sommes taillés pour la compé­ti­tion. Nous devons trou­ver et convaincre le parte­naire de repro­duc­tion le plus avan­ta­geux possible. Connais­sez-vous un mammi­fère dont les parents ne vont pas cher­cher à avan­ta­ger leur petit par rapport à ceux des autres ? Œuvrer pour le succès de ses enfants, c’est trans­cen­der sa propre morta­lité. Cette terrible pres­sion vient des parents, pas de l’État bureau­crate qui a bien du mal à orga­ni­ser une école insti­tu­tion­nelle, à l’heure où le savoir est partout et où nous sommes tous inter­con­nec­tés.

Si l’État n’y parvient plus, s’il n’y a plus de place correcte pour inscrire son enfant, alors les parents crée­ront des alter­na­tives. Les scéna­rios du homes­choo­ling sont multiples. Prenons un quar­tier Bruxel­lois immi­gré et pauvre dont certains parents ne trouvent pas de place à l’école pour leurs enfants. Il suffit de deux ou trois mamans éclai­rées pour ouvrir une « école infor­melle » réunis­sant une quin­zaine d’en­fants dans les maisons. Grâce aux livres et surtout à inter­net, l’in­for­ma­tion et l’aide sont acces­sibles en ligne. Cette aide est de mieux en mieux orga­ni­sée et « prête à l’em­ploi ».

Sans prétendre prédire l’ave­nir, des tendances lourdes se dégagent :

  • l’école publique du XXe siècle va muter ou mourir,
  • l’école privée pleine de profs diplô­més et bien payés n’a pas plus d’ave­nir que l’en­cy­clo­pé­die déve­lop­pée par cette société améri­caine, face à Wiki­pe­dia.

Struc­tu­rel­le­ment, le homes­choo­ling pour­rait être un mouve­ment socié­tale qui montre aux ensei­gnants qu’on a moins besoin d’eux pour l’ins­truc­tion, comme Uber l’a montré aux chauf­feurs de taxi pour le trans­port. Le homes­choo­ling donnera-t-il l’im­pul­sion néces­saire à une majo­rité de profs pour chan­ger de posture, de rôle ? Le homes­choo­ling sauvera-t-il l’école publique par l’ab­surde ?