On n’est pas boulan­ger mais on travaille (depuis deux ans) comme boulan­ger. On n’est plus le mari de Y, mais on vit avec elle. On n’est pas muni­chois conser­va­teur mais on habite (pour les quelques années à venir) et on vote conser­va­teur. 

 

Donc on n’est pas prof, on travaille comme ensei­gnant pour un temps. Par contre Bernard Delvaux, l’au­teur d’Une tout autre école , lui, est socio­logue univer­si­taire jusqu’au bout de son écri­ture acadé­mique. Cela me rappelle mes sylla­bus de maths. Il n’y avait que peu de pages mais chaque page valait son pesant d’at­ten­tion.

La régu­la­tion descen­dante, unidi­rec­tion­nelle et rela­ti­ve­ment univoque est ainsi progres­si­ve­ment rempla­cée par un système d’in­ter-régu­la­tion. 

Au-delà de la forme, le fond aussi en est impré­gné. Le premier tiers de l’ou­vrage oscille entre socio­lo­gie et philo­so­phie pour décrire notre société en muta­tion, un peu « à la Michel Serre ». On sent toute la science de l’au­teur dans la découpe et dans la profon­deur de l’ana­lyse dont je salue la qualité avec plai­sir. Par exemple, au sujet de la « déstruc­tu­ra­tion » :

Il n’est dès lors pas éton­nant que nombre d’ins­ti­tu­tions perdent leur statut d’évi­dence, d’im­mua­bi­lité, de stabi­lité, et de facteur de rassu­rance. Il est tout aussi normal que les orga­ni­sa­tions qui les composent s’au­to­no­misent, s’éman­cipent, soient en recherche.

 

Tradui­sons cela à ma sauce (sans enga­ge­ment de Bernard Delvaux) au sujet de l’école : « Il n’est dès lors pas éton­nant que l’ins­ti­tu­tion scolaire perde son statut d’évi­den­ce… Il est tout aussi normal que les écoles s’au­to­no­misent, s’éman­cipent, comme le feraient des PME gérées en bon père de famille et qui recru­te­raient au mérite et non à l’an­cien­neté. Vive le libé­ra­lisme scolaire ! ».

Ben non… Nous verrons que l’au­teur ne laisse planer aucun doute sur son orien­ta­tion socio­po­li­tique. Mais avant de vous lâcher mon désac­cord avec lui sur le chemin qu’il suit, je dois vous dévoi­ler que nous nous rejoin­drons plus tard sur ses propo­si­tions.

La seconde partie du livre iden­ti­fie trois scéna­rios pour l’ave­nir de l’école :

  • La disper­sion à tous vents. 
  • L’achar­ne­ment théra­peu­tique. 
  • Tout autre chose. 

Chaque scéna­rio mérite un article à lui seul. Commençons par la disper­sion à tous vents.

Ce scéna­rio laisse pour l’es­sen­tiel se dérou­ler le proces­sus de diffé­ren­cia­tion et d’au­to­no­mi­sa­tion des orga­ni­sa­tions […]

Nos écoles de plus en plus auto­nomes, s’adaptent à leur public, aux forces parti­cu­lières de leurs ensei­gnants. Les acteurs de terrains respon­sa­bi­li­sés, se réap­pro­priant leur école, se détour­nant de la bureau­cra­tie impo­sée jadis pas un pouvoir central stali­nien. C’est en tout cas ce que je pensais lire à la suite de cet extrait. Bien au contraire. La « disper­sion à tous vents » ce sont ces

[…] initia­tives d’ac­teurs locaux, internes à l’ins­ti­tu­tion ou étran­gères à elle. […] Tous sont en recherche. Leurs initia­tives partent dans des direc­tions variées. […]  leurs actions parti­cipent à l’émiet­te­ment de l’ins­ti­tu­tion scolaire et remettent en cause l’idée même de l’École commune.

 

Là mon sang ne fait qu’un tour. Tant de belles initia­tives citoyennes, comme l’est la sienne, fleu­rissent et parviennent à atté­nuer les convul­sions d’une insti­tu­tion scolaire qui se tord de douleur dans son déca­lage avec le 21e siècle. L’au­teur insi­nue-t-il que Stei­ner, Ashoka, Montes­sori, Khan Academy, Step2You, Decroly et Learn to Be font plus de mal que de bien ! ?

En tant que direc­teur de Learn to Be, on m’a bien dit « d’in­car­ner l’ANC » (Approche NeuroCo­gni­tive). On m’a même inscrit à des cours. John, tu dois incar­ner l’ANC ! Respire. Lente­ment. Active ton cortex préfron­tal. Applique les exer­cices du cours. Par exemple, demande-toi si l’au­teur est sain d’es­prit. Oui. Demande-toi s’il est bien inten­tionné. Oui. Trouve trois argu­ments qui appuient ce qu’il dit… Allez, essaye.

  • C’est vrai que certaines initia­tives privées que je n’ai pas listées s’en­ri­chissent à palier les défi­ciences des écoles. 
  • C’est vrai que certaines écoles catho­liques ou musul­manes pour­raient endoc­tri­ner, isoler, renfor­cer les peurs et donc la violence entre des commu­nau­tés. 
  • C’est vrai que les écoles finan­cées direc­te­ment par les parents plutôt que par l’État avec les impôts des parents sont impayables pour la majo­rité de la popu­la­tion. 
  • C’est vrai qu’une nation se fonde sur un senti­ment d’ap­par­te­nance à des valeurs communes, à des savoirs communs. Trop diffé­ren­cier ne va pas dans ce sens. 

Waow, j’en ai même trouvé un quatrième. Allez, Bernard Delvaux, je ne suis plus fâché, je comprends que l’on puisse craindre que les initia­tives « dispersent l’École commune ». Et je ne partage pas ces craintes, soute­nant et conseillant beau­coup de ces citoyens qui répondent à de réelles souf­frances et qui, dans l’en­semble, font beau­coup plus de bien que de tort.

Nous voilà page 35, presque à la moitié du livre. Le prochain article trai­tera de l’achar­ne­ment théra­peu­tique. Le troi­sième analy­sera la propo­si­tion de l’au­teur : tout autre chose. Un dernier article rela­tera notre face-à-face dans un restau­rant bour­geois, libre, et diffé­ren­cié de Louvain-la-Neuve.