Dans les deux premières parties de cet article sur le livre de Bernard Delvaux, « Une tout autre école », nous avons souli­gné le déca­lage entre la forme scolaire héri­tée du passé et notre société en muta­tion. L’école ne peut plus conti­nuer ainsi, se contor­sion­nant plus chaque jour dans son inadé­qua­tion avec le 21e siècle.

Le maître ne doit plus être un guide menant son suiveur sur le chemin qu’il a tracé mais un accom­pa­gnant évoluant de concert avec celui qui est en quête et choi­sit son chemin. Dans un tel proces­sus, l’ac­com­pa­gnant, au contraire du guide, est conscient de pouvoir être bous­culé, inter­pellé, mis en ques­tion, tout autant que l’ap­pre­nant. 

 

J’adhère tout à fait à ce texte qui aurait pu être écrit par Rous­seau. Si le maître ne « dirige » plus l’élève sur le chemin du savoir, doit-il toujours être savant ?

[Il faut contraindre l’ap­pre­nant] à utili­ser son intel­li­gence sur ces objets dont le maître gagne même à être igno­rant (pour qu’il ne rede­vienne pas guide). 

 

Mais alors, si un maître ne doit pas être cham­pion de math pour ensei­gner les maths, ni cham­pion de français pour ensei­gner la litté­ra­ture, il pour­rait bien deve­nir poly­va­lent ! Fini l’hor­rible horaire ?

Il faudrait aussi renon­cer à forma­ter l’es­sen­tiel des horaires sur la base de cours de 50 minutes, notam­ment parce que certains aspects du cursus indi­vi­dua­lisé (mais pas tous) gagne­raient à être conçus de manière inten­sive sur des périodes d’une ou deux semaines. 

 

Mieux : les élèves d’une classe ne doivent plus apprendre la même chose au même moment et à la même vitesse. Fini les classes d’âges et son corol­laire, le redou­ble­ment ? Fini les classes tout court ?

Une classe du cursus commun mêle­rait par exemple indif­fé­rem­ment les jeunes privi­lé­giant les options tech­niques et ceux choi­sis­sant plutôt les options intel­lec­tuelles. Une rela­tive diver­sité d’âge serait aussi possible et sans doute souhai­table. 

 

Sans doute ! ? Moi qui suis moins versé dans la socio­lo­gie poli­tique et plus dans la logique péda­go­gique, j’au­rais bien renversé les prio­ri­tés : d’abord une diver­sité d’âge pour garan­tir une réelle diffé­ren­tia­tion, une réelle entraide en classe et un réel retrait du profes­seur trans­formé en « accom­pa­gnant », comme dans une classe unique de village. Ensuite, on pourra abattre les murs de la ségré­ga­tion sociale et cultu­relle en Belgique. Pour dire les choses crûment, si dans une autre école, la maman de Jean-Louis est deve­nue convain­cue que le succès de son fils ne dépend plus du niveau de ses condis­ciples, alors elle sera moins rétive à ce que Moham­med le rejoigne.

Donc, oui Bernard Delvaux. Et il faut d’abord chan­ger l’or­ga­ni­sa­tion et la péda­go­gie avant de pouvoir s’at­taquer à la mixité sociale. Quel est le programme d’une « tout autre école » ? Que deviennent les matières ensei­gnées jusqu’a­lors ?

Je propose de les verser tous dans un parcours indi­vi­dua­lisé, autre­ment dit de ne consi­dé­rer aucun savoir ou savoir-faire comme étant à ce point indis­pen­sable […] qu’il serait justi­fié de l’im­po­ser à tous.

J’ap­prouve complè­te­ment. Fini la guerre des matières ! Les élèves choi­sissent. Le client est roi et le marché fait loi. Vive le libé­ra­lisme ! Non, là je m’égare. Sérieu­se­ment, si les ensei­gnants sont en retrait, alors ils doivent être moins savants dans les matières qu’ils enseignent et beau­coup plus de matières deviennent possibles. Veux-tu apprendre l’as­tro­no­mie ? Je n’y connais pas grand-chose, mais vas-y, je te soutien­drai. S’il le faut, nous trou­ve­rons des spécia­listes hors de l’école, car une « tout autre école » est ouverte.

 Cette voie passe par un aban­don des traits majeurs de la forme scolaire. Elle n’est qu’un sentier peu emprunté aujourd’­hui. Un sentier mal tracé qui, à ce jour, a peu de chances d’être trans­formé en auto­route.

 

Je ne sous­cris pas à cette analyse. Selon moi, ce sentier va inéluc­ta­ble­ment se trans­for­mer en auto­route. Pour moi, la première voie (voir premier article) d’évo­lu­tion du système rejoint la troi­sième décrite ici. C’est-à-dire que la myriade d’ac­teurs s’ac­ti­vant au chevet du système scolaire (première voie) ne va pas du tout conduire à une quel­conque « disper­sion à tous vents », mais bien à l’école du 21e siècle dont l’au­teur vient de nous décrire les carac­té­ris­tiques majeures.

Comme la chan­delle a disparu face à l’am­poule élec­trique, comme le télé­phone s’est affran­chi du fil, l’école va faire place à « tout autre chose ».

 […] il faut oser remettre en ques­tion cette forme scolaire vieillie et défi­nir les contours d’une tout autre insti­tu­tion éduca­tive commune. 

C’est un peu facile et lâche de choi­sir des frag­ments de texte de cet auteur pour les commen­ter bien à mon aise. Une rencontre serait plus inté­res­sante. Le rendez-vous est pris pour la quatrième et dernière partie de cet article.