Souvenons-nous de mes origines informaticiennes. Si j’avais 16 ans lorsque j’ai donné mon premier cours, j’en avais la moitié lorsque j’ai joué à mon premier jeu vidéo et le trois-quarts lorsque j’ai écrit mon premier programme. C’est bien une licence en informatique que j’ai choisi de faire et non en psychopédagogie. À comparer les auditoires, on constate bien la masculinité des informaticiens et la féminité des psychologues. Seraient-ce les deux disciplines opposées par excellence ? La virile logique des machines pour les uns et la délicate sensibilité des humains pour les autres ? La version XXIe siècle du couple mécanicien / infirmière ?
Comprenez donc ma satisfaction de me retrouver chez Learn to Be, voici un an et demi, dans un écosystème très féminin et très compétant dans le domaine qui m’échappe : l’humain. Être entouré de gens plus compétents n’est-elle pas une efficace manière d’apprendre ? J’ai suffisamment fait le tour du système scolaire que pour ne plus être satisfait de mon rythme d’apprentissage. Les horaires, les liens hiérarchiques, la motivation, l’autorité, les parents, les programmes, l’organisation de la classe, l’implication, les causes, les effets, toutes ces données systémiques sont connectées avec stabilité dans mon esprit. Quelle est la systémique d’une bonne école ? C’est connu, c’est logique, c’est documenté. Par contre, comment aider 130 000 enseignants à faire évoluer leur système scolaire… Là, on touche aux relations interpersonnelles, à la confiance en soi, à l’insécurité, à la résistance au changement, à la peur. On touche à l’humain.
Je sors de chez Learn to Be élargi d’une connaissance distillée tous les jours par mes savantes collègues. Je peux classer ce que j’ai appris dans trois grandes catégories :
- le cerveau,
- l’enseignant,
- les femmes.
Le cerveau est le cœur de métier des formatrices Learn to Be. On ne parle pas ici de biochimie ni de médecine, mais plutôt d’une modélisation des comportements. Les informaticiens comme moi adorent les modèles bien que ma collègue Caroline m’inviterait encore à la nuance, à accepter que chaque cas, chaque réalité déborde du modèle. Pourquoi moi, enseignant, je me sens stressé ? Et mes élèves ? De quel type de stress parle-t-on ? Comment l’apaiser ? Pourquoi deux de mes élèves réagissent-ils systématiquement différemment l’un de l’autre ? Qu’est-ce qui m’a mené à dire un jour « plus jamais » ? D’où vient le besoin de dominance ou de soumission ? Comment gérer celui des autres ? Quels sont les différents modes de fonctionnement de mon cerveau ? Comment reconnaître, voire changer le mode dans lequel je suis ?
La deuxième catégorie de mes apprentissages, l’enseignant, sort du modèle théorique. Là, on touche aux anecdotes que les formatrices ramènent du terrain après avoir animé des groupes de professeurs ou de directeurs d’école en journée pédagogique. Elles reviennent tantôt déconfites car, il faut bien l’admettre, les enseignants sont parfois les pires élèves. Elles reviennent tantôt victorieuses d’avoir vu des participants basculer vers une conscience plus fine des causes et des effets de leurs comportements, et de se réjouir de les appliquer en classe après la formation. Ma vision affinée de l’enseignant est un être multiple, souvent très seul dans son métier, parfois fragile et qui s’est construit une routine lui permettant de résister aux mauvais coups. La plupart des enseignants sont à la recherche d’un mieux, et s’ils sont suffisamment en confiance, s’ils sont convaincus qu’on ne va pas encore leur faire un coup tordu, ils font preuve d’une très généreuse bonne volonté dans leur remise en question qui est la clef pour déployer quelque amélioration que ce soit.
Les femmes sont la dernière catégorie de mes apprentissages chez Learn to Be. J’avais déjà été régulièrement directeur ou chef d’équipe, mais principalement d’hommes, d’informaticiens. Je n’avais encore jamais goûté à la particularité d’un groupe de femmes au travail. Or, vu la féminisation de l’enseignement, cette compétence me sera utile à l’avenir. J’ai fait face à leurs énigmes, leurs conversations, leur territorialité, leur courage, leurs cycles d’humeurs, leur camaraderie parfois tribale, leur humour et leur sensibilité collective toujours touchante. Heureusement, un autre mâle embusqué dans la maison m’a généreusement guidé dans cet apprentissage.
Avant de partir, chère équipe de femmes, j’ai deux mots à vous dire. Bravo et merci.
Bravo, parce que vous vous démenez en augmentant dans les écoles le plaisir d’apprendre et d’enseigner.
Merci, parce que c’est la tête pleine de connaissances et le cœur chargé de gratitude que je quitte mes fonctions de Directeur Général, tout en restant au Conseil d’Administration d’où je suivrai l’asbl avec toute la bienveillance que son travail mérite.
Partie 1: Je reconnais ce que j’ai fait